Le Vietnam, souvent écrit en un seul mot en occident, s’écrit officiellement en deux mots en vietnamien : Việt Nam. Deux mots dont on ignore souvent qu’ils sont chargés de sens d’un point de vue géopolitique et qui reflètent la longue et passionnante histoire de ce pays.
Le mot « Viet » désigne le groupe ethnique des Viet (appelés aussi Kinh) qui représente aujourd’hui 86 % de la population du Vietnam. Originaires de la région située entre le sud du fleuve bleu (le Yang-Tsé en Chine actuelle) et le nord de l’actuel Vietnam, l’ethnie Viet était divisée en nombreux groupes disparates : les « Bach Viet », ce qui signifie les Cents Viet, ainsi que les appelaient péjorativement l’ethnie Han, plus homogène, qui habitait au nord-ouest du fleuve bleu.
A partir du 5e siècle avant J.-C., et face à l’extension de la civilisation chinoise vers le sud de nombreux Viet viennent s’installer plus au sud, dans le delta du fleuve rouge, le nord du Vietnam actuel.
Ils se mêlent avec les ethnies qui étaient déjà présentes et ils vont développer petit à petit une identité spécifique, notamment par rapport aux autres ethnies Viet qui sont restées plus au nord et qui seront complètement assimilé par les Han.
Ce mouvement vers le sud (appelé Nam Tien en vietnamien, « l’avancée vers le sud ») est une caractéristique très importante de la civilisation vietnamienne, car il la conduira, après plusieurs siècles, jusqu’au delta du Mékong.
Le sud… c’est précisément la signification du mot « nam » dans la langue vietnamienne. On le devine déjà son utilisation ne doit rien au hasard. Il revient souvent dans les différents noms qu’à portés le pays depuis plusieurs siècles (Nam Viet, Annam, Viet Nam). En vietnamien, le Sud évoque ainsi le pays et la culture Viet par opposition au Nord qui figure la Chine et ce qui s’y rapporte.
Pour de nombreux historiens vietnamiens, l’opposition entre ces deux cultures à permis aux ethnies Viet installées au sud de se construire une identité propre face aux populations vivant plus au Nord et de la préserver, et ce malgré un millénaire d’occupation par la Chine.
Témoin de cette farouche volonté d’indépendance, le court poème du général et mandarin Ly Thuong Kiet (1019-1105) « Les montagnes et les rivières du pays du Sud » considéré par les Vietnamiens comme leur 1er déclaration d’indépendance écrite. Dans ce poème l’expression « les monts et les fleuves » désigne la patrie.
<< Sur les monts et les fleuves du Sud règne l’empereur du Sud.
Ainsi en a décidé à jamais le Céleste Livre.
Comment, vous les barbares, osez-vous envahir notre sol ?
Vos hordes, sans pitié, seront anéanties ! >>
Le 1er dans l’histoire à faire référence au Sud est le général chinois Zhao Tuo (appelé Trieu Đa par les Vietnamiens). En 208 avant J.-C., il conquière le royaume d'Âu Lạc, qui était alors le pays du peuple Viet, pour le compte de la Chine. Après la mort de l’empereur de Chine et de la chute de la dynastie Qin, il proclame l’indépendance des territoires qui étaient sous son contrôle (dont le nord de l’actuel Vietnam) et nomme son royaume Nam Viet (traduisible par « Viet du Sud »).
En 111 avant J.-C., le Nam Viet est à nouveau reconquis par une dynastie chinoise, les Han, ce qui marque le début de mille ans de colonisation. Le pays devient un protectorat chinois et le pays est renommé Giao Chi (Jiaozhi en chinois).
C’est d’ailleurs de ce nom que vient le mot Cochinchine. En effet, les commerçants Malais avaient l’habitude de le prononcer « Kutchi ». Quand les marins portugais arrivent à Da Nang au début du XVIe siècle, ils empruntent le mot « kutchi » aux Malais pour designer cette région et l’appellent "Cochim-China". Le mot « China » est ajouté afin de ne pas faire la confusion avec la ville de Cochim (Cochin en français) en Inde où ils étaient aussi installés. Le mot Cochinchine est inventé !
La période d’occupation chinoise est caractérisée par une politique de sinisation du pays (avec la diffusion de l’écriture chinoise notamment) mais aussi par de nombreuses révoltes et insurrections, une des plus célèbres étant celle des sœurs Trung en l’an 40 après J.-C.
En 618, une nouvelle dynastie prend le pouvoir en Chine, Les Tang. Ils souhaitent accroitre leur influence sur le pays et ils le rebaptisent en Annam (Sud pacifié, de An - la paix- et Nam - le sud-). Ce sera le nom en usage jusqu’au début du Xe siècle.
À la faveur de la chute de la dynastie Tang en 907, les Vietnamiens saisissent l’occasion de l’affaiblissement des Chinois pour se soulever. C’est la fameuse bataille navale de Bach Dang en 939, remporté par le général Ngo Quyen, qui leur permet d’acquérir leur indépendance.
La stabilisation complète du pays sera l’œuvre de la dynastie des Ly (1010-1225) qui réussit à garder la cohésion interne du pays et à maintenir son indépendance face à la nouvelle dynastie régnant alors en Chine, les Song. En 1054, le roi Ly Thanh Tong renomme le pays « Dai Viet » (le Grand Viet). Ce nom va rester jusqu’au début du XIXe siècle. Il survivra même à une courte période domination chinoise Ming au début du XVe siècle.
Le XVIIIe siècle est une période de guerre civile, les empereurs de la dynastie Lê n’ont plus qu’un pouvoir symbolique et le pays est divisé en deux factions rivales qui se disputent le pays : au Nord les Trinh et au Sud, les Nguyen.
En 1802, ce sont les Nguyen qui sortent victorieux de cet affrontement, ils exercent dès lors le pouvoir du Nord au Sud du territoire. L’empereur Gia Long cherche un nouveau nom pour son pays, un nom qui représente l’idée que se fait la nouvelle dynastie de ce territoire réunifié, encore plus grand que celui des dynasties précédentes. L’empereur Gia Long envoie un ambassadeur auprès de son suzerain l’empereur de Chine pour lui demander d’approuver le nouveau nom :
« Notre cour possède non seulement les terres de l’An Nam (le nord du pays, c’est le nom que les Chinois utilisaient toujours pour désigner le pays des Viet) mais aussi les territoires des Viet Thuong (le sud du pays jusqu’au delta du Mékong que les Nguyen avaient conquis au XVIIIe siècle). Il ne peut pas être comparé aux territoires des Trân et des Lê. Le nom national devrait être changé d’An Nam en Nam Viet (le « Nam » de An Nam associée au « Viet » de Viet Thuong). »
L’empereur de Chine refuse le nom Nam Viet car il fait penser au royaume qui s’était émancipé de la chine au 2e siècle avant J.-C. Afin de régler le problème, on inverse les mots et le pays prend officiellement le nom de Viet Nam.
À la fin du XIXe siècle, après la fin de la conquête militaire du Vietnam, l’administration coloniale française divise le territoire en trois. Le pays se retrouve à nouveau morcelé, en deux protectorats (le Tonkin au nord, l’Annam au centre) et une colonie (la Cochinchine au sud). Les Français utilisent alors le nom « Annam » (qui désigne déjà le Centre) pour nommer le pays dans son ensemble.
Mais c’est le nom « Viet Nam », pour son symbole d’indépendance et d’unité territoriale, que les patriotes vietnamiens vont tenter d’imposer à nouveau dès le début du XXe siècle.
C’est notamment le cas de Phan Boi Chau (1867-1940), un des plus célèbre patriote révolutionnaire vietnamien de la génération d’avant Ho Chi Minh, qui utilise le mot dans son livre de 1906 « Histoire de la perte du Viet Nam ». Et après l’insurrection de Yen Bay en février 1930, treize patriotes vietnamiens sont seront guillotinés le 17 juin 1930. Avant leur exécution, les condamnés crient plusieurs fois le mot « Viet Nam ! ».
Le terme va donc s’imposer peu à peu et, au début des années 1940, il est déjà largement diffusé. Ho Chi Minh fonde d’ailleurs en 1941 le Viet Minh (forme abrégé de « Ligue pour l'indépendance du Viêt Nam »).
Le nom Vietnam redevient officiel en 1945 quand le 2 septembre, à Hanoi, Hô Chi Minh proclame l'indépendance de la République démocratique du Viêt Nam.