Imaginez jusqu’à 8 marionnettistes se tenant derrière un écran de bambou décoré à la façon d’un temple et contrôlant des figurines faites en bois et pesant jusqu’à 15kg. Ils les font vivre en manipulant des tiges et des ficelles reliées à un mécanisme caché dans l’eau, le tout au son d’un orchestre de musique traditionnelle.
Il en est ainsi de cet unique art ancestral vietnamien qui date du 11ème siècle. La première mention écrite de l’existence de ces marionnettes sur l’eau date de 1121, sur une stèle en pierre dans une pagode de la région de Ha Nam.
À l’origine paysan, ce spectacle est probablement lié à des rites de fertilité et s’est transformé au fil du temps en divertissement populaire lors des fêtes printanières des villages du delta du Fleuve Rouge, dans le nord du pays, connues pour leurs rizières régulièrement inondées par les caprices du fleuve.
Une rare esplanade pour théâtre sur l’eau datant de la période tardive (Dynastie Le, 1533-1708) existe encore sur le lac de Long Tri, en face de la pagode Thay (province de Thai Binh), où les spectacles, qui font partie des fêtes du temple, existent toujours. Les marionnettes anciennes sont rares également, à cause du climat humide, mais la pagode Keo et les troupes de Thai Binh en ont conservé des exemplaires remontant aux 19ème et 20ème siècles.
Un ingénieux mécanisme dissimulé dans l’eau
Provisoires par définition, des scènes démontables faites en bois et bambous sont traditionnellement aménagées dans des mares. Les marionnettistes eux sont à moitié plongés dans l’eau et cachés derrière un écran pour manipuler leurs personnages. Des personnages qui sont faits avec la matière première disponible sur place, c’est-à-dire le plus souvent bambous et bois de sycomore, tous deux périssables.
Parmi les personnages, on trouve des buffles, des dragons, des poissons, des pêcheurs ou des paysans. Étonnamment, vous ne verrez pas ceux qui tirent les ficelles, ni aucune machine ou instrument et seules les marionnettes dansant à la surface de l’eau s’offrent au regard du public. Il y a aussi des pétards, de la musique et des chants.
Le spectacle consiste en plusieurs saynètes qui parlent de la vie rurale au quotidien, retracent aussi des légendes régionales ou sont quelquefois tirées de l’opéra populaire. Les troupes se produisent surtout dans leurs villages, parfois dans d’autres villages ou provinces pour les plus connues, mais assez rarement, car les marionnettistes sont aussi des paysans qui ne pratiquent qu’en amateurs.
Pendant la guerre d’Indochine et ensuite celle du Vietnam, cet art a disparu. Ce n’est que vers le début des années 90 que ces spectacles de marionnettes sur l’eau ont refait… surface dans ce pays délicat et fascinant.
Deux théâtres se sont alors ouverts à Hanoï, à la fois pour un public citadin mais aussi pour les touristes étrangers. Depuis, les troupes ont fait en sorte de renouveler leurs marionnettes, d’améliorer les mécanismes et au final la qualité artistique des spectacles. Cela a permis un boum à l’international pour cet art qui reçoit désormais une attention grandissante.
Un must des séjours de Vietnam Autrement
Et ce théâtre local et paysan inspire même les grands noms de la mise en scène à l’échelle mondiale. Le Canadien Robert Lepage avait en effet marqué les esprits il y a quelques années en puisant dans cette tradition vietnamienne pour sa version du "Rossignol et autres fables" de Stravinsky.
En 2017, le Théâtre national de marionnettes du Vietnam a réalisé une tournée de 45 jours dans six villes de France dans le cadre du 21ème Festival de l'Imaginaire pour présenter au public français ce spectacle fascinant. Sur place, le musée d’ethnographie à Hanoï organise également des représentations de marionnettes sur l’eau dans son enceinte.
Assister à une représentation constitue dès lors une bonne entrée en matière à un voyage au Vietnam, ce spectacle étant unique au monde et spécifique à la culture vietnamienne.